Albert Camus : le quotidien d'un employé de bureau.


Ce blog a pour vocation première d'être un outil pour les auteurs "indé".

Mon amie Lucie a exprimé le souhait de rassembler auteurs débutants et auteurs  expérimentés dans un même élan de solidarité. Elle s'acquitte merveilleusement de cette mission.

Je peux donc musarder, lézarder sous la chaleur d'une terre de feu... qui sait, peut-être y croiserais-je un étranger. Alors moi aussi je deviendrais sujet de ce récit voulu par Albert Camus :



"Au bout d'un moment, je suis retourné vers la plage et je me suis mis à marcher.

C'était le même éclatement rouge. Sur le sable, la mer haletait de toute la respiration rapide et étouffée de ses petites vagues. Je marchais lentement vers les rochers et je sentais mon front se gonfler sous le soleil. Toute cette chaleur s'appuyait sur moi et s'opposait à mon avance. Et chaque fois que je sentais son grand souffle chaud sur mon visage, je serrais les dents, je fermais les poings dans les poches de mon pantalon, je me tendais tout entier pour triompher du soleil et de cette ivresse opaque qu'il me déversait. A chaque épée de lumière jaillie du sable, d'un coquillage blanchi ou d'un débris de verre, mes mâchoires se crispaient. J'ai marché longtemps.




Je voyais de loin la petite masse sombre du rocher entourée d'un halo aveuglant par la lumière et la poussière de mer. Je pensais à la source fraîche derrière le rocher. J'avais envie de retrouver le murmure de son eau, envie de fuir le soleil, l'effort et les pleurs de femme, envie enfin de retrouver l'ombre et son repos."

Il faut une fin. A une situation. Une histoire. Le quotidien ne souffre pas, cette banalité. Il ne peut s'exposer là sans dénouement. Tragique.
L'homme ne met pas simplement un pied devant l'autre, chaque jour à lui donné par le jeu des rythmes, cicardiens. Son destin se nourrit de chaque  moment passé à être. Il suffit. L'ordre de fin est intimé à sa vie.





« J’ai pensé que je n’avais qu’un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J’ai fait quelques pas vers la source. L’Arabe n’a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire. J’ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des gouttes de sueur s’amasser dans mes sourcils. C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. À cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas. Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d’un coup sur les paupières et les a recouvertes d’un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux. Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur. »




Je ne connaîtrais pas, cette fin. Ce n'est pas moi qui suis mis en scène, dans ces paragraphes extraits de "l'Etranger". Albert Camus n'a pas choisi de livrer ma vie mais celle d'un employé de bureau, Meursault. Celui-ci tient une sorte de journal de bord de son quotidien. Moi pas.

Je ne vais pas dans ces contrées rougies par le soleil.

Je ne saurais pas qu'elles inspirent de bien jolies phrases.

Je ne regrette pas, je n'aurais pas su les dire, ces phrases. Je n'aurais pas su décrire, ce qui se vit, dans la chaleur de ce soleil. Je n'aurais pas su voir que "la mer haletait de toute la respiration rapide et étouffée de ses petites vagues".

Je ne suis pas Albert Camus.

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